Pabot le corbeau.

La vie coule doucement dans la grande pâture de la Société de Protection des Moutons, les moutons sont contents, ils broutent. Grattemiaou, chat de son état et Président de la Société de par sa fonction est content, puisque les moutons sont contents.

Pabot le corbeau n’est pas content, il travaille lui. Perché sur le dos d’un mouton, Pabot le corbeau surveille. Armé d’un crayon et d’un petit carnet à pages numérotées, Pabot le corbeau note le nombre de brins d’herbe que mange chaque mouton, le nombre de crottes que fait chaque mouton.
Pabot le corbeau est débordé, il a 100 moutons à surveiller, Pabot le corbeau a l’impression de surveiller un océan de moutons.

Pabot le corbeau est épuisé, ces maudits moutons n’en font qu’à leur fantaisie. Pabot le corbeau a beau leur arracher la toison, leur piquer le dos, leur crever les yeux, rien n’y fait, ces moutons séditieux prétendent ne consommer que du ray-grass, du sainfoin et à la rigueur un brin de renoncule.

Et qui doit couper, au péril de ses doigts, les chardons, les ronces, et même les orties que dédaignent ces moutons trop bien nourris, sinon Pabot le corbeau ? Et tout çà pour un salaire de misère, si on peut appeler salaire une paie aussi ridicule.

Pabot le corbeau est décidé, garder les moutons dans un champ dehors par tous les temps, est un métier de miséreux, que dis-je de moyen-âgeux, indigne de sa condition. Aujourd’hui les moutons sont dans un parc et le gardien des moutons dans un bureau, bien au couvert, bien au chaud. Pabot le corbeau l’a lu sur Internet et ce n’est pas un ragot puisque c’est écrit.

Sur de son fait, Pabot le corbeau, met son chapeau, un habit presque propre, et s’en va exposer son projet à Grattemiaou.

Grattemiaou le reçoit poliment, et lui répond : c’est une idée intéressante, allons demander leur avis aux moutons.

Pabot le corbeau en reste sans voix, a t’on jamais vu demander l’avis d’un mouton. Et de toute façon comment un animal assez bête pour manger de l’herbe peut-il avoir un avis ?

Pabot le corbeau est obstiné, Grattemiaou et les moutons sont ligués contre lui ? Qu’à cela ne tienne, il va faire appel à l’Opinion.

Et il écrit dans tous les journaux : braves gens du canton, il faut protéger les moutons, venez aider la Société Protectrice des Moutons à construire un parc, sinon ils seront mangés par les loups.

Lui rétorque t’on que les loups ont disparu voilà un siècle, il écrit : braves gens du canton, il faut protéger les moutons, venez aider la Société Protectrice des Moutons à construire un parc, sinon ils seront rongés par les vers.

Lui rétorque t’on que les vers se soignent avec un médicament tout exprès qu’on appelle justement un vermifuge, il écrit : braves gens du canton, que diriez vous si l’on mettait vos enfants dans une pâture par tous les temps, venez aider la Société Protectrice des Moutons à construire un parc.

L’argument est idiot, mais sans appel. Ainsi pris par les sentiments, les bénévoles affluent et, sous la direction de Pabot le corbeau, ils construisent un parc, où l’on enferme les moutons, et surtout un beau et grand bureau en bois, avec un gros poêle à charbon, où s’installe Pabot le Corbeau.

Pabot le corbeau est content, le bureau est vaste et très bien isolé. Assis dans son fauteuil, tout près du poêle à charbon, Pabot le corbeau surveille les moutons.

Les choses sont bien organisées, plus besoin de compter le nombre de brins d’herbe que mange chaque mouton, l’herbe de la pâture est soigneusement coupée et donnée à un ami de Pabot le corbeau, en échange de 3 belles pièces d’or. Pabot le corbeau adore l’or.

Les choses sont bien organisées, les moutons ont le droit de manger à satiété les chardons, les ronces, et même les orties, qui sont très riche en fer, Pabot le Corbeau l’a lu sur Internet.

Même dans les choses les mieux organisées un grain de sable parfois vient se glisser. Tous les bénévoles ne sont pas muets, le monde est imparfait, et ils posent des questions comme celle-ci : pourquoi les moutons n’ont ils que la peau sur les os ?

Pabot le corbeau connaît la réponse, il l’a lue sur Internet : un mouton c’est toujours maigre, un mouton ne fait pas de graisse comme n’importe quel autre animal, un mouton fait de la laine, uniquement de la laine.
Les choses sont bien organisées, les moutons ne sont plus gênés par une épaisse toison. Pabot le corbeau a vendu la laine à un ami, en échange de 30 belles pièces d’or. Pabot le corbeau adore l’or, et chaque soir il compte et recompte ses 33 pièces d’or.

Hélas tous les bénévoles ne sont pas aveugles, et ils posent des questions comme celle-ci : nos moutons n’ont plus de laine, d’ailleurs ou est-elle?

Pabot le corbeau connaît la réponse, il l’a lue sur Internet : c’est un parasite vorace qui l‘a mangée. Lainophagus voracissimus, voilà le nom de l’horrible bestiole, dont Pabot le corbeau distribue la photo à qui veut l’entendre.

Les chose sont bien organisées, quelques bénévoles triés sur le volet ont le privilège de donner aux moutons l’unique traitement efficace contre le Lainophagus voracissimus. Naturellement, les bénévoles doivent payer de leur poche le traitement que leur vend Pabot le corbeau. Une pièce d’or pour chaque dose de médicament. Sachant qu’il faut impérativement une dose par mouton et par jour, cela fait 100 pièces d’or qui tombent dans l’escarcelle de Pabot le corbeau. 100 pièces d’or cela semble énorme… Et très peu quand on pense que chaque crotte de mouton doit être roulée au moins 5 minutes dans la farine puis dans le sucre pour former une pilule à peu près présentable. A raison de 100 moutons, cela fait 100 pilules, donc 500 minutes, Pabot le corbeau travaille jour et nuit, et il n’a même plus le temps de compter les pièces d‘or qui s’accumulent dans le bureau, cachées sous le poêle.

Le traitement est excellent, authentifié Internet, donné avec soin, mais les moutons meurent quand même et les bénévoles posent des questions comme celle-ci : où est le mouton à la barbiche noire à qui j’ai encore donné du pain hier ??

Pabot le corbeau n’en revient pas, ainsi il serait possible de reconnaître un mouton du mouton voisin? Un mouton pourrait donc avoir une individualité, une âme au même titre qu’un corbeau? Impensable, songe Pabot le corbeau.

Grattemiaou n’est ni muet ni aveugle, et il déclare sans ménagement à Pabot le corbeau : que se passe t’il ici? J’ai voulu donner trois brins d’herbe à nos moutons, le premier m’a mordu, le second a mordu le premier pour lui voler un brin, et maintenant tous se battent pour 3 brins d’herbe. Et regardez ma patte, elle a doublé de volume. Ce n’est pas comme nos moutons, ils sont divisés par deux en nombre et en grosseur, je ne suis pas content.
Vilaine morsure, observe Pabot le corbeau, et vilaine maladie dont je n’ai pas voulu vous parler, de peur de vous alarmer.
Quelle maladie ?
La Haine Mordeuse du Chat, maladie contagieuse, transmissible, due à un virus excrété dans la salive, et qui fait grand bruit Internet, des forums entiers y sont consacrés.
Je me moque du bruit sur Internet, rétorque Grattemiaou, nos moutons sont malades, votre remède inefficace, nous allons construire une infirmerie.
Une infirmerie, mais ça va coûter !
Vous avez raison, nous ne sommes pas riches et ne pouvons nous permettre de construire un nouveau bâtiment,  le bureau fera dorénavant office d’infirmerie.
Mon bureau, jamais !
Ce n’est pas votre bureau mais celui de la Société.
C’est le mien, car mon contrat précise que j’ai le droit à un bureau, et comme il n’y en a qu’un, il me revient obligatoirement. Et je saurais défendre mon bon droit, vous n’avez fini d’entendre parler de moi.

Depuis enfermé dans le bureau, Pabot le corbeau écrit : braves gens du canton, il faut protéger Pabot le corbeau".
Lui rétorque t-on que les corbeaux sont déjà protégés, il écrit : braves gens du canton,Grattemiaou est méchant, il veut tuer Pabot le corbeau.
Lui rétorque t-on qu’il est dans la nature du chat de manger les oiseaux, il écrit : braves gens du canton, que diriez vous si l’on laissait vos enfants à portée de patte d’un chat enragé ?
L’argument est idiot, mais sans appel. Ainsi pris par les sentiments, les gendarmes affluent et saisissent Grattemiaou.

Pour sortir Grattemiaou de prison et payer les avocats, il a fallu vendre la pâture, mais les moutons n’en ont cure, ils sont très contents. Tous les après midi des bénévoles viennent les promener. Au bord des chemins et au bout d’une belle laisse, chaque mouton mange ce qui lui plaît ; ray grass sainfoin et même parfois du bout de lèvres un brin de renoncule. Les moutons sont gros et gras, et pourvus d’une riche toison.
Grattemiaou est très content, puisque le moutons sont très contents.