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Boulogne sur mer : une ville ben ordinaire. Vie politique judiciaire et anecdotique
20 novembre 2008

Le Maitre d’Ecole

Tous les devoirs s’envolent dans le vent, les cartables baillent grands ouverts et les crayons se perchent sur les fils téléphoniques. Qui songerait à travailler ? Personne ! Les écoliers mettent au tableau noir tous les lampions de la fête et le ballon saute par la fenètre, que la lune est plate et dégonflée ! Dansons, dansons, dans les écharpes et les bonnets, dorment, comme des chats, les cahiers et les livres. Mettons du jaune, du rouge et du vert, une chanson bien gaie, et nous aurons un conte merveilleux. Un peu de sucre pour qu’il soit plus doux, mais pas de sel surtout, la vie est assez amère.
    Ecoutez, écoutez !
    Un, deux, trois, je jette mon œil en l’air !
    Il était en verre !
    Quatre, cinq, six, je te donne ma main !
    Elle était en bon pain !
    Sept, huit, neuf, mon oreille en veux tu ?
    Alors, pan, je la tue !
    Dix, onze, douze, ma chanson est finie !
    Et l’école aussi !
Le maître d’école sort par la cheminée et renverse dans le ciel l’encre bleue nuit. Puis il s’en va et personne ne le voit qui marche sur les toits, tant il est couvert de suie, tandis que de ses poches trouées tombent ses clefs.
Les écoliers chantent dans la rue et les clefs, tombées des poches trouées du maître d’école, s’en vont devant, sautant à cloche pied, tintant sonnant et chantant :
    Ouvrez les portes, Noël est prisonnier !
    Ouvrez les portes, je l’entends cogner !
Toutes les clefs des portes, des bahuts, des armoires, des commodes sautent dans la rue et chantent à cloche pied :
    Dansez, dansez, Noël est né !
    Riez, riez, Noël est né !
Sur la place c’est un joyeux tintamarre. Les gens mettent le nez à leur fenêtre et bientôt ils sont si rouges qu’on dirait des charbons ardents. Devant la mairie illuminée, les enfants dansent en rond faisant sonner les pavés gelés.
Assis sur le toit de la boulangerie, le maître d’école ne danse pas, il soulève son grand chapeau noir et réveille chouettes et hiboux qui y dormaient. Ceux-ci aussitôt se perchent sur ses épaules et le saluent par cette chanson :
    Ouh, ouh, je hulule et bat des ailes
    Entre soir et matin
    Et mange des souris à la croque au sel
    Entre soir et matin.
    Et ils ajoutent : combien en veux tu ?
Aucune, répond le maître d’école en secouant la tête.
Aucune, répliquent les chouettes et hiboux surpris, que vas tu manger ?
Une dinde rôtie et un gâteau avec se bougies.
Pouah, quelle horreur, s’écrient chouettes et hiboux surpris, et avec quel argent vas tu l’acheter ?
Je vais mendier à la porte de l’église.
Mendier, quelle horreur, mieux vaux chasser !
Les dindes rôties et les gâteaux avec des bougies ne se chassent pas, réplique le maître d’école, allons, la messe va commencer.
Tandis qu’il marche sur les toits, tombent de ses poches trouées, des craies de couleur, de la droite des rouges, de la gauche des bleues.
Les hiboux qui les regardent tomber l’œil droit seul ouvert disent : que ces toits ont du faire de bêtises et leurs devoirs tout de travers pour être rouges de la sorte.
Les chouettes qui les regardent tomber l’œil gauche seul ouvert répondent : taisez vous, vieux fous, ils sont bleus, car ils ont très bien travaillé.
Et les hiboux vexés répliquent : taisez vous, vieilles folles, ils sont rouges et ce sont de fripons !
Aucun n’a l’idée d’ouvrir les deux yeux à la fois et cette dispute durerait fort longtemps, si le maître d’école n’y mettait bon ordre en les fourrant dans ses poches d’où leur leurs pattes dépassent un peu partout par les trous.
Assis sur les marches de l’église, le maître d’école contemple son chapeau à côté de lui. Triste temps pour les mendiants, le riche n’aime pas le pauvre et l’aumône reste au fond des poches, il fait si froid pour en sortir les doigts. Le gens qui vont à la messe de minuit passent  côté de lui et font semblant de ne pas le voir. A chaque fois chouettes et hiboux sortent le bec et traitent les gens de pingres et de radins. Mais ceux-ci haussent les épaules d’un air méprisant, ils sont bien trop fiers pour s’occuper des invectives d’un oiseau, surtout d’un chouette ou d’un hibou.
Hélas, soupire le maître d’école, ce soir je ne mangerai ni dinde rôtie ni gâteau avec ses bougies, et il secoue son chapeau. Aussitôt toute la place est noire de suie, et les choucas, qui perchés sur la fontaine boivent l’eau froide, se demandent où commence la margelle et où finissent leurs pattes. Ils regardent d’un œil, plus l’autre, puis des deux à la fois, rien n’y change. Ils se plaignent amèrement.
Ce n’est rien, sourit le maître d’école, je vais arranger cela, il secoue encore une fois son chapeau. Aussitôt la place se couvre de neige. Pauvres choucas jamais contents, les voilà blancs eux aussi. Ils se plaignent encore plus amèrement et s’envolent de fort méchante humeur.
Bien fait, rigolent chouettes et hiboux qui n’aiment pas les choucas.
Au lieu de rire, regardez vous, les gronde le maître d’école en remettant son chapeau.
Mais voici qu’un arrive un officier en bel uniforme rouge sang. Il monte les marches du parvis.
Bel officier, la charité s’il te plait, demande le maître d’école.
Qui t’as permis de me tutoyer, ôte toi de mon chemin, rugit l’officier, il bouscule le maître d’école et le fait tomber. Mais, celui-ci en tombant, à son tour fait tomber l’officier.
Tiens, hurle l’officier en se relevant hors de lui, tu as faim, manges ta main, et sortant son grand sabre il coupe le poignet du maître d’école, puis rentre dans l’église sans se retourner.
Aussitôt chouettes et hiboux se précipitent tous ensemble sur la main coupée et la dévorent en un clin d’œil.
Cet officier a raison, murmure le maître d’école très pâle en serrant son poignet ensanglanté, je n’aurais pas du mendier et me contenter de souris. Il se relève et rentre chez lui, tandis que dans la neige tombent une à une des gouttes de sang.
Dans l’école, fatiguées d’avoir tant dansé, les clefs dorment à poings fermés, mais une goute de sang tombant sur la plus grosse la réveille en sursaut et elle s’écrie, réveillant toutes les autres : du sang , j’ai reçu du sang !
Aussitôt les autres clefs sursautent, sautent, se précipitent dehors et, suivant la piste de sang, arrivent à la porte de l’église qu’elles ouvrent en grand en criant : du sang, nous avons reçu du sang !
Aussitôt, le vent, la neige, s’engouffrent dans l’église, couvrant de blanc tous les villageois. Ceux-ci veulent refermer la porte, mais leurs clefs qui dormaient dans leurs poches, se réveillent, leur sautent dessus et les poussent dehors sans ménagement en leur tâpant très fort sur le crâne et en criant : du sang, nous avons reçu du sang !
Les villageois veulent se réfugier chez eux, mais les clefs, clic clac, ferment toutes les portes et les poussent toujours en tapant très fort, boum boum, jusqu’à l’école. Dans la salle de classe, toute froide de glace, est évanoui le maître d’école, le sang goutte de son poignet coupé.
Ah vous voilà, crient chouettes et hiboux, regardez ce que vous fait !
Ouille, ouille, nous n’avons rien fait, protestent les villageois.
Menteurs, répliquent, chouettes et hiboux, vous avez refusé à votre maître d’école une dinde rôtie et un gâteau avec des bougies !
Menteurs, ajoutent les clefs et elles tapent deux fois plus fort !
Ouille, ouille, nous ne savions pas !
Menteurs, quand il vous demandé l’aumône, vous ne lui avez rien donné !
Menteurs, ajoutent les clefs et elles tapent trois fois plus fort !
Ouille, ouille, nous ne l’avions pas reconnu !
Menteurs, vous avez tourné la tête de côté pour ne pas croiser ses yeux !
Menteurs, ajoutent les clefs et elles tapent quatre fois plus fort !
Ouille, ouille, nous ne lui avons pas coupé la main !
C’est vrai, répliquent, chouettes et hiboux, c’est l’officier, où est-il ?
Ouille, ouille, ici, ici, crient les villageois !
Où, où, ajoutent les clefs, nous ne le voyons pas et elles tapent cinq fois plus fort !
Ouille, ouille, c’est lui, c’est lui, crient les villageois, dans son uniforme rouge sang !
Où, où, vous êtes tous blancs, hurlent les clefs, nous ne le voyons pas et elles tapent six fois plus fort !
Ouille, ouille, là, là, avec son grand sabre plat !
Où, où, vous êtes trop serrés hurlent les clefs, nous ne le voyons pas et elles tapent sept fois plus fort, soudain tellement fort qu’elles rentrent dans le crâne des villageois !
Quel silence, quelle paix, soudain dans la salle de classe.
Dans la tête du docteur la petite clef dorée qu’il portait toujours autour du cou, tourne doucement et remonte, tic tac, les rouages de son bon cœur. La petite clef tourne, clic clac, courageusement, c’est qu’il est dur de remonter des rouages d’argent grippés depuis si longtemps.
Enfin la clef s’arrête, et retombe sur le sol de pierre où elle rebondit donnant une note claire, telle une clochette de verre. Aussitôt les autres clefs se mettent à tourner, cric, crac.
Cet homme souffre, dit le docteur en ramassant sa petite clef dorée, et il s’en va chez lui chercher le nécessaire pour faire un beau pansement.
Chacun ramasse sa clef, et s’en va chercher, qui des médicaments, qui une dinde rôtie, qui un énorme gâteau, qui du bois pour la cheminée.
La nuit est très gaie dans l’école pleine à craquer, où le maître d’école distribue à chaque invité une part d’une grande bûche flambée, que l’officier découpe à la taille demandée avec son grand sable plat.
Le repas terminé, chacun rentre chez soi, tandis que le maître d’école dessine au tableau noir une main toute neuve qu’il ajuste à son poignet. Puis il sort par la cheminée et, debout sur le toit, avec une éponge et de l’eau claire, lave la nuit. Sur le ciel bleu clair, il le dessine le soleil, avec une écharpe rouge pour qu’il n’ait pas froid.
Dans le matin encore assoupi le maître d’école écrit au tableau la leçon pour les souris. Tapies dans les poches de sa blouse neuve, chouettes et hiboux ferment les yeux.
Dans le matin assoupi, les souris apprennent leur leçon : toujours tu dois rester polie, dire merci, et surtout grignoter ton biscuit sans faire de bruit, sinon chouettes et hiboux te mangeront, petite souris, même à Noël. 

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