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Boulogne sur mer : une ville ben ordinaire. Vie politique judiciaire et anecdotique
13 novembre 2008

Les Grenouilles de Louis

A la tombée de la nuit la brume de mer a tout pris dans la petite ville endormie, la rues et les maisons, les lumières et les bruits, même les vagues sont évanouies.
A la tombée de la nuit, sa grande oreille posée sur la vitre verte, le gendarme écoute la petite ville endormie. Hélas, souris ou bandit, à chacun la brume a mis des chaussons de coton, et chacun file sans bruit, pas entendu pas surpris.
A la tombée de la nuit, ses grands yeux posés sur la vitre grise, le gendarme scrute la petite ville endormie. Hélas, crime ou délit, la brume efface toutes les traces et chaque bandit rentre chez lui, pas vu pas pris.
Maudissant la brume complice, le gendarme replie ses grandes oreilles, ferme les yeux et rêve un instant d’une brume bien close derrière les grilles du cachot. Soupirant de découragement, le gendarme se rassoit, rouvre les yeux et découvre en face de lui un petit garçon.
Comment es tu entré?
Louis est entré par la porte.
Sans frapper ?
Louis a frappé trois fois, la première avec le petit doigt, tu n’as pas entendu, la deuxième avec le moyen doigt, tu n’as pas écouté, la troisième avec le gros doigt, tu n’as pas répondu, donc Louis est entré.
Mais qui est ce Louis dont tu me parles, demande le gendarme ?
Tu as de la chance, Louis a deux parents, plus une grande sœur et par conséquent l’habitude de répondre à des questions idiotes, Louis est en face de toi et Louis a un reproche à te faire.
Un reproche ?
Un gros reproche, mais Louis s’assoit car il a beaucoup marché. Prenant une chaise le petit garçon s’assoit. Et ce reproche est le suivant : tu écoutes quand Louis te parles, ou tu fais semblant comme les parents de Louis ?
Je t’écoutes, soupire le gendarme;
C’est bien ce que Louis disait, tu ne dois pas t’écouter, mais écouter Louis, ouvre bien tes oreilles, tu es un bon gendarme, mais tu ne réfléchis pas beaucoup, car si tu avais réfléchi, même un tout petit peu, tu n’aurais pas mis en prison tous les voleurs de secrets.
Tous les voleurs doivent aller en prison, sursaute le gendarme.
Tu dis ça parce que tu n’as pas de secret.
Parce que tu toi tu as un secret ?
Toi, je ne sais pas, mais Louis oui. Ouvres bien ton oreille, Louis va te murmurer son secret, car un secret ne doit pas être écouté par n’importe quelle oreille.
Le gendarme se penche vers le petit garçon.
Ecoutes : dans le champ en face de la maison de Louis, il y avait des grenouilles, pas des crapauds, de vraies grenouilles, Louis aime beaucoup les grenouilles, elles ne mordent jamais. Malheureusement cet été un bulldozer est arrivé, qui a raclé le champ pour faire une grande montagne en face de la maison de Louis, une montagne de terre et de grenouilles. C’est ça le secret : cette montagne de terre d’apparence ordinaire renferme toutes les grenouilles du champ, car Louis n’a retrouvé aucune grenouille dans le champ.
Ces grenouilles sont peut être parties ailleurs, tente le gendarme …
Louis y a pensé, mais les pattes des grenouilles sont trop petites et trop fragiles contre un bulldozer.
Quelqu’un a pu emmener les grenouilles avant le passage du bulldozer.
Mentir est un métier, tu n’es pas menteur, tu es gendarme. Si les grenouilles étaient parties, Louis ne les entendrait pas pleurer la nuit.
J’ai l’ouïe très fine et tout à l’heure personne ne pleurait …
Louis ne te parle pas de personnes, Louis te parle de grenouilles, et tu es bien trop vieux pour entendre pleurer une grenouille, et même mille grenouilles, il ne faut pas avoir honte d’être vieux, tu sais.
Je n’ai pas honte.
Tant mieux, car Louis va te confier la fin de son secret, écoute bien : depuis tout à l’heure les grenouilles ne pleurent presque plus, tu comprends ce que cela veux dire ?
Je comprends.
Le petit garçon se lève, et tend un papier plié en 4 au gendarme, Louis a remarqué que les vieilles personnes perdent beaucoup de choses et surtout la mémoire, alors, pour que tu n’oublies pas, Louis a écrit le secret de toutes les grenouilles ce papier. Louis te le confie…
Le gendarme prend le papier, le déplie …
Louis ne sait pas écrire, il est trop petit, alors Louis a découpé dans le magazine de maman des lettres aussi belles que les grenouilles. Louis compte sur toi. Le petit garçon se lève de sa chaise, sort laissant la porte ouverte, fait trois pas dans la cour, revient et dit au gendarme : Louis te préviens afin que tu ais le temps de te préparer, un Monsieur très important vient de passer le portail de la cour.
Et comment Louis sait que ce monsieur est très important ?
Il est petit et gros, ce qui prouve qu’il est vieux, il marche dans les crottes de chien sans jurer ce qui prouve qu’il ne nettoie jamais lui-même ses chaussures, et surtout, il porte un grand ruban tricolore, comme tous ceux qui ont gagné le gros lot.
Précédé par une odeur épouvantable de crotte de chien un petit monsieur entre dans le bureau.
Bonjour et bonsoir Monsieur l’Important, dit Louis en s’en allant.
Ce petit ira loin, sourit le Maire en s’essayant, il sait reconnaître la valeur des gens, puis se ravisant, dites moi gendarme, que vient faire un si petit garçon en vos locaux, pas d’ennuis ?
Pas vraiment.
Pas ou vraiment ?
Voilà, le gendarme tend au Maire le papier de Louis, je vous explique, les lettres « G », qui sont vertes, représentent  les grenouilles et la lettre « M », qui est marron, la montagne de terre qui enferme les grenouilles et les étouffe à petit feu.
Une montage de terre ?
Oui, et qui se trouve sur le territoire de votre commune Monsieur le Maire et plus précisément dans le lotissement que vous inaugurâtes hier d’un beau ruban.
Bien, voyons les choses posément. Premièrement et le plus important, ce lotissement est une nécessité, nul ne doit rester sans toit, surtout par ce froid. Arrêter la construction, maintenant que les travaux sont bien entamés serait perçu, à tort ou raison, comme aveu et compromettrait ma réélection.
Certes, mais le bulldozer n’a fait que racler la terre, et depuis l’été rien n’a bougé.
J’y viens, chaque chose en son temps, deuxièmement les grenouilles sont protégées, nul ne peut les tuer sans être puni, ainsi que le prévoit la Loi, Loi dont je suis le garant municipal.
Sans doute, mais Vous avez signé le permis de construire.
Par ignorance, car ce papier que je tiens ici désigne clairement les coupables : la lettre « M » désigne Maurice le conducteur du bulldozer qui a enterré vivantes ces malheureuses bestioles, et les lettres « G » représentent les gendarmes qui ne font pas leur travail en laissant en liberté un assassin de grenouilles.
A mon avis, la lettre « M » désigne plutôt le Maire, dont Maurice n’est que l’employé. 
Précisément, ce Maurice aurait du m’avertir, car étant sur le terrain, il a bien vu que ce champ était rempli de grenouilles, ce que de mon bureau de Maire je ne pouvais savoir. Et pour en finir avec cette malheureuse histoire je trouve, gendarme, que vous critiquez beaucoup, ce qui est contraire à l’esprit de la gendarmerie. Je vous souhaite la bonne nuit. Le Maire se lève et s’en va bien droit, de son pas crotté.
Au milieu de la nuit, lovée comme un chat sur la petite ville endormie, la brume de mer dort.
Au milieu de la nuit, à pas de velours le gendarme se faufile vers le lotissement de Louis. Là, l’oreille posé sur la terre tiède, il repère les grenouilles qu’il sort une à une de la montagne.
Au milieu de la nuit, ses grands yeux posés sur la vitre grise, Louis regarde le gendarme remettre les grenouilles dans la mare voisine.
Au milieu de la nuit, seul éveillé dans la petite ville endormie, le gendarme retrouve son oreille d’enfant, l’oreille de celui qui désobéit, et il écoute les secrets trop grands des parents.
A la fin de la nuit, dans la brume qui s’enfuit, le gendarme rentre chez lui avec dans son képi tous les secrets qu’il a surpris. Arrivé dans son bureau, il les colle chacun sur une feuille, enferme la feuille dans une chemise et sur chaque chemise colle une grande lettre « G », à Garder.
Au petit jour nouveau, assis, à son bureau la tête posée sur le gros dossier, le gendarme dort. Voleur de secrets est un dur métier, surtout quand on est gendarme en même temps. Sur le gros dossier le gendarme a collé une grande lettre « M », comme Montagne de secrets  à Garder.
Habitants de Petit Port dormez en paix, de la gendarmerie vos secrets ne sortiront jamais.

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